L’aïkido verbal ou l’art de coopérer

 

 

Pour éviter le piège de l’affrontement caractérisé par une position d’opposition dans la relation à l’autre, nous pouvons nous inspirer de l’aïkido dont le but est de neutraliser la violence. La communication interpersonnelle devient alors cet art de penser ensemble et de résoudre les problèmes en esquivant le conflit.

Art martial japonais, l’aïkido utilise l’énergie de l’adversaire pour éviter le combat. Il a pour principe le refus de l’affrontement et cherche à neutraliser la violence afin de rétablir un équilibre, une harmonie. 

Pouvons-nous nous inspirer de cet art pour développer notre capacité à communiquer ? Assurément oui, car la communication interpersonnelle commence par le choix, plus ou moins conscient, d’une posture qui détermine un rapport de place.

Ma posture, c’est ma façon d’être et ce qui manifeste ma façon d’être (le comportement et le discours) dans mon échange avec mon interlocuteur ; le rapport de place, c’est la façon dont chacun des interlocuteurs se place par rapport à l’autre (position de supériorité, d’infériorité, d’égalité) et qui conduit, par exemple, à la rivalité ou à la coopération. Indépendamment d’un sujet de discussion (une décision à prendre, une négociation à mener, une conversation), c’est donc le processus relationnel qui est ici premier. Quel que soit le degré de convergence ou de divergence de nos points de vue de départ, c’est notre façon d’être dans l’échange qui sera déterminante du résultat produit : accord, désaccord, opposition, voire conflit.

Ainsi, la volonté de convaincre son interlocuteur se traduit souvent par une polarisation des positions : chacun pense avoir raison, veut convaincre l’autre de changer d’avis et déploie pour cela force arguments, tout en opposant aux arguments adverses des objections. Progressivement, chacun se place en opposition et réagit selon un esprit de contradiction. Les enjeux évoluent : d’une posture rationnelle qui vise la solution à un problème donné, on passe à un face à face dont le but est de ne pas perdre la face. Les interlocuteurs en présence passent d’une focalisation intellectuelle à une focalisation affective : on s’agace, l’écoute décline, l’incompréhension s’installe, l’idée que l’autre fait preuve de mauvaise foi suscite la volonté d’en découdre… La relation évolue alors selon un mouvement de rivalité systémique : on passe d’un simple désaccord apparent à une opposition marquée par l’antipathie personnelle qui induit elle-même une attitude d’opposition ; la relation s’enferme dans une boucle négative, le conflit n’est plus très loin.

Si la volonté de convaincre peut avoir une légitimité, par exemple de faire admettre un objectif impératif, c’est-à-dire non négociable (du moins a priori), elle entraîne souvent l’effet inverse, quand aucun des deux interlocuteurs ne veut être le vaincu. Le premier message est donc de montrer, plutôt que de dire, notre intention non belliqueuse. Face à une prise de position, à un argument, à une objection — surtout si cette prise de position, cet argument ou cette objection sont exprimés avec agressivité — le communiquant se placera plutôt dans une attitude d’accueil et de compréhension. C’est-à-dire dans une reconnaissance de l’autre. Cela passe par une écoute active : j’accueille le mouvement sans m’y opposer. Nulle force ne vient contrer la force. Ce mouvement d’accueil me permet de comprendre dans le discours de mon interlocuteur ce qui peut être recevable, ce qui manque de clarté ou ce qui paraît faible. Une reformulation permettra de faire converger ce qui peut converger dans nos positions respectives ; un questionnement aidera mon interlocuteur à progresser dans sa représentation de la situation. Ainsi je n’oppose rien, je fais cheminer mon interlocuteur dans sa réflexion et je chemine avec lui ; ce faisant, nous devenons compagnon de route. Ensemble, nous construisons un rapport de place favorable au dialogue, propice à une parole qui circule. Je peux alors à mon tour exprimer une parole, non pas une parole qui me place en position de force, mais une parole partagée qui acte une réflexion commune en mouvement. Mes arguments sont des éléments qui ajoutent parce que je les soumets à une intelligence qui se détend et se focalise sur une volonté de discernement. En aucun cas notre avancée commune ne signifie la défaite de l’autre : ensemble nous pensons. Pour construire continûment cet « ensemble », je rappelle, je souligne, je valorise ce qui, dans le discours de mon interlocuteur, va dans le bon sens. Ce bon sens est-il le mien ? Mon objectif est-il de convaincre l’autre d’adopter mon point de vue initial ? Non, car il s’agit d’initier un travail de discernement à deux ; ce qui implique dès le départ ma disponibilité à penser, c’est-à-dire à me requestionner moi-même.

C’est ainsi que se construisent les coopérations : un cheminement vers une terre inconnue.

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