Gestion des conflits : valoriser la confrontation

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On pourrait rêver un monde parfait : un monde de processus et de procédures, un monde automatisé et sous contrôle, avec des robots intelligents, un monde sans conflit, sans heurt, sans opposition, dans lequel toutes divergences seraient aplanies, tout intérêt personnel oublié, toute idéologie abandonnée, toute jalousie impossible.

Dans ce monde là, les entreprises et les administrations publiques seraient cohérentes, le travail organisé selon une même rationalité partagée et les équipes cohésives. Il n’y aurait plus de conflit au travail.

Ainsi se déploie l’utopie managériale qui souvent s’insinue dans les propos de nos participants aux stages de gestion des conflits. Derrière cette utopie, il y a danger pour plusieurs raisons.

Tout conflit serait le signe d’un échec à plusieurs dimensions. Échec d’un dialogue entre deux personnes et échec du manager qui n’a pas su gérer ses équipiers. Parmi les croyances courantes, l’idée que la communication interpersonnelle doit suffire à aplanir les obstacles à l’action commune et à la bonne entente est fréquente. C’est faire fi de la complexité humaine*, de la multiplicité des enjeux organisationnels et humains, avec la part de passion, d’émotion et d’irrationalité. C’est alors ajouter à chaque « échec » son lot de culpabilité des acteurs en présence.

Autant dire que le seul fait de se parler ne peut suffire ; ce serait préjuger de la parfaite honnêteté de chaque interlocuteur, de sa capacité à pouvoir s’exprimer clairement, du temps suffisant pour le faire en toutes circonstances et surtout de la nécessité de parvenir à une même représentation partagée du réel, c’est-à-dire une même analyse de la situation et une même idée de l’action correctrice à mettre en œuvre.

Là est le plus grand danger : le fantasme d’une harmonie relationnelle dans la conduite conjointe de l’action collective présente le risque d’interdire, de s’interdire ou d’éviter les oppositions, les divergences et les tensions relationnelles qui en découlent. On ne saurait imaginer un univers professionnel pourtant fait d’objectifs multiples, d’enjeux de pouvoir, de divergences de points de vue et de faiblesses humaines sans expression des émotions de peur, de colère ou de tristesse. Soustraire la tension relationnelle due à l’émotion, c’est aussi interdire la possibilité d’une confrontation utile.

Car l’enjeu n’est ni plus ni moins de se dire le vrai. Non pas la Vérité, mais ce que chacun pense être vrai dans le champ restreint de son espace de travail. L’enjeu est d’éviter la décision absurde parce que personne n’aura osé contredire la pensée commune, pour ne pas dire la pensée unique. L’enjeu est d’éviter le découragement des bonnes volontés qui n’osent pas dire le risque. Les organisations ont donc besoin de développer une culture de la confrontation ; tout comme la démocratie est l’organisation institutionnelle de la confrontation politique.

Se confronter n’est pas s’affronter. La confrontation est un espace de dialogue où se structure le face à face, mais cette confrontation n’aboutit pas toujours, par la seule magie du dialogue bien tempéré, à l’accord des parties. Il y a ici la place d’un mode de décision, d’un arbitrage, que l’autorité managériale doit définir.

L’affrontement est un état de tension supérieure ; on affronte un adversaire, voire un ennemi. La gestion du conflit consiste à revenir à une possibilité de saine confrontation, avec méthode et, si nécessaire, sous le contrôle d’une autorité régulatrice. Pour autant, quand bien même on pourrait souhaiter un monde du travail sans affrontement et même sans conflit (notion plus large que celle d’affrontement qui est une forme du conflit), faut-il proscrire ces manifestations de tensions relationnelles ?

S’il s’agit bien de promouvoir des modes de régulation des inévitables tensions au travail, il s’agit aussi de dédramatiser ce qui déborde du politiquement correct afin d’avancer malgré nos faiblesses et nos dérapages.

Car un monde sans conflits, que promeut un certain puritanisme ambiant, ce n’est pas seulement une utopie, ce serait une négation du facteur humain. Qui sait, un monde robotisé, où l’humain n’aurait plus sa place ?

 

* Dominique Picard et Edmond Marc, Les conflits relationnels, Que Sais-je ? 2012

 

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