La difficile gestion de la loyauté identitaire

Changer de rôle ou concilier deux rôles différents dans une même structure conduit parfois à des conflits de loyauté. En voici trois illustrations.

Alors que j’intervenais pour un audit managérial, je rencontre le matin, avec le groupe de direction, un agent de maîtrise. L’après-midi, alors que nous rencontrons des opérationnels, je retrouve mon agent de maîtrise, par ailleurs, représentant du personnel.

Cette situation habituelle ne me surprend pas. J’observe néanmoins un microchangement : le matin, il est vêtu de noir tandis que l’après-midi, je le retrouve en pantalon rouge écarlate ! 

Est-ce signifiant ? Je questionne : la réponse est sans ambiguïté. Lorsqu’il porte le pantalon rouge, cela signifie qu’il est dans sa posture de représentant du personnel.

Autre exemple, dans le cadre d’un jury fictif d’examen professionnel d’une collectivité territoriale pour l’accès à un poste d’encadrement de premier niveau, un candidat ayant une parfaite compréhension des enjeux de la collectivité, un réel leadership, une réelle affirmation de soi, reste mutique sur ses motivations à devenir encadrant. Je le questionne et n’obtiens pas davantage de réponse.

Cette absence de réponse est-elle là encore signifiante ? Dans le cadre du débriefing, je le questionne à nouveau, toujours rien. Je décide alors de lui partager mon ressenti : il a de nombreux atouts et je m’interroge sur son choix d’être évasif sur ses motivations et le provoque en lui indiquant que tout laisse à penser que cet accès à une fonction d’encadrement n’est pas attractif pour lui. Surpris, après un temps de silence, il confirme y être invité par sa hiérarchie et nous dévoile qu’il est… élu et ne voit pas comment concilier une posture syndicale avec une responsabilité hiérarchique.

Troisième illustration : les managers de premier niveau ne relaient pas l’action du responsable d’agence où ne recueillent pas auprès des opérationnels les informations nécessaires à de possibles solutions. Il est ainsi observé une attitude d’évitement, de passivité. Pourquoi ? Parce que ces managers encadrent des ex-collègues et n’ont pas su trouver la bonne posture après leur promotion.

Au regard de ces trois situations différentes, nous notons la difficulté des managers à gérer de multiples appartenances qui se traduisent en conflit de loyauté. Que ce soit un conflit entre l’appartenance à la ligne hiérarchique et syndicale ou que ce soit l’appartenance à l’ex-équipe et à celle de la ligne hiérarchique, le clivage prévaut sur la synergie.

Nous observons que ce clivage identitaire se gère au mieux par une alternance des rôles peu cohérente. Le but est plutôt de concilier ces rôles différents dans une pratique à inventer pour que valeurs et appartenances ne s’opposent plus.

Éviter le clivage des rôles : manager le matin, syndicaliste l’après-midi. Préférer une réflexion sur la façon dont le manager, par ailleurs syndicaliste, souhaite porter son rôle de manager. Créer des complémentarités pour supprimer les cloisonnements.

Comme il s’agit d’un changement d’attitudes, notre travail consiste à favoriser l’expression des représentations sous-jacentes, organiser des confrontations avec d’autres représentations et permettre des échanges. L’enjeu est de faire évoluer une norme collective qui impose une vision binaire. Par exemple :

  1. Organiser une table ronde avec des témoins pour créer le doute et favoriser l’identification de nouvelles pratiques.
  2. Proposer un atelier d’entraînement à la posture synergique des identités pour renforcer la cohérence de la posture et apprendre à la mettre en œuvre. Dans cet atelier, il s’agit de faire identifier ses multiples identités pour ensuite rechercher comment intégrer, en cohérence, les différentes exigences :
      • Consulter sur les impératifs réalistes et justes,
      • Faire remonter les impératifs indispensables,
      • Oser mettre un bémol sur des actions non justifiées chez les opérationnels (« là, je ne vous suis pas ») ou au contraire de la part de la direction.

Pour favoriser une telle posture, nous nous appuyons sur les piliers du leader de Koestenbaum[1] : savoir prendre en compte la réalité, avoir l’éthique, le courage et développer une vision de la situation.

  1. Afin de pérenniser l’action, nous invitons à constituer une équipe de mentors pour être soutien de ces managers opérationnels dans la construction de leur cohérence.

Il s’agit de favoriser la plasticité des parcours professionnels et des organisations par une meilleure prise en compte de la complexité vécue par les individus. L’avenir sera le produit de la gestion de la complexité, fut-elle intérieure.

[1] Peter Koestenbaum, Leadership,

 

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